
Copiste au Louvre : une tradition vivante
Depuis son ouverture en 1793, le Musée du Louvre n’a pas seulement été un sanctuaire de l’art universel : il est aussi devenu, silencieusement, une école. Chaque jour, des milliers de visiteurs — parfois plus de 30 000 en période de pointe — franchissent ses portes pour contempler la Joconde, la Vénus de Milo ou La Liberté guidant le peuple. Mais derrière le flux des regards pressés, dans les allées plus discrètes, une autre histoire s’écrit : celle des copistes, ces peintres qui installent leur chevalet face aux chefs-d’œuvre et dialoguent, pinceau en main, avec les maîtres du passé.
Être copiste au Louvre ne se réduit pas à la reproduction mécanique d’une image. C’est un acte d’humilité et de persévérance, une école du regard où chaque glacis, chaque couche de couleur devient une initiation. De grands noms y ont forgé leur sensibilité : Ingres, Chassériau, Delacroix. Tous ont appris à « voir » en recopiant les maîtres, faisant de la copie une étape fondatrice du parcours académique. Delacroix affirmait qu’il s’agissait avant tout d’« apprendre à voir », et non simplement de « savoir faire ».






C’est dans cette filiation qu’Edgar Saillen s’inscrit lorsqu’il devient, dans les années 1990, copiste au Louvre. Chaque matin, il installe son chevalet sous les voûtes monumentales, au cœur d’un silence habité par la respiration des toiles. Face à Rembrandt, Titien ou Poussin, il s’astreint à un rituel exigeant : observer, comprendre, puis traduire, non pas la surface visible, mais l’âme profonde du tableau. Car copier au Louvre, c’est accepter que l’essentiel se cache dans la vibration d’une ombre, dans l’épaisseur d’une matière, dans la tension subtile entre lumière et obscurité.
Edgar raconte souvent que ces années furent une « ascèse picturale ». Dans la lumière tamisée des salles hollandaises, il retrouvait la leçon du clair-obscur : la vérité ne surgit pas du contour mais du contraste, de ce qui apparaît et de ce qui demeure voilé. Chaque toile copiée devenait ainsi un passage initiatique, une méditation silencieuse qui liait son propre geste au souffle immémorial des maîtres. Loin d’être une répétition scolaire, c’était une recherche de vérité picturale : comprendre comment le Caravage faisait jaillir la vie d’un rayon de lumière, comment Zurbarán donnait à un pli de drapé une intensité spirituelle, ou comment Poussin organisait la clarté d’un récit à travers la rigueur des lignes.

Le public, souvent fasciné, s’arrêtait à ses côtés. Voir un copiste travailler, c’était voir un pont se tendre entre le XVIIᵉ siècle et aujourd’hui, entre le musée et l’atelier. Dans un lieu fréquenté par des millions de visiteurs annuels, Edgar redonnait à l’expérience artistique une lenteur, un silence, une densité. Ses toiles, issues de ce labeur, ne sont pas de simples copies : elles sont des résonances, des dialogues vivants avec une tradition menacée d’oubli à une époque où l’enseignement académique s’effaçait peu à peu des écoles d’art.
Aujourd’hui encore, cette expérience marque profondément sa pratique et son enseignement. Devenir copiste au Louvre, c’était pour lui une forme de résistance : résister à la vitesse de l’époque, à la superficialité du regard, à la tentation d’oublier la patience du geste. C’était choisir de se nourrir directement à la source, auprès des grands maîtres, pour ensuite transmettre aux élèves et aux amateurs un savoir-faire séculaire.
Comme le disait Rodin, « C’est en regardant les maîtres qu’on apprend à se regarder soi-même ». Edgar en a fait l’expérience dans l’une des plus grandes écoles du monde : le Louvre.